Dessins d'audience : Jean-Louis Giron
Au septième jour du procès des faux électeurs, on mesure comment le président Albert a construit les audiences : comme une pièce de théâtre classique : première semaine et début de la seconde semaine, exposition décor et personnages, l’intrigue se noue, fin de la seconde semaine, l’intrigue fait sentir ses effets : la fraude s’expose. Viendront enfin les confrontations et les plaidoiries. En somme, une montée dramatique parfaitement organisée avec des protagonistes ne se départissant pas de leur rôle.
L’OPERATION TETE BECHE
Ainsi, Jaqueline Mockriky ! Elle est la secrétaire modèle qui a perdu la mémoire : elle ne se souvient de rien. Que des gens n’habitent plus le 5 e et continuent à voter, elle ne voit pas de mal à cela, qu’un parallèle puisse être établi entre les demandes de logement et les demandes d’inscriptions sur les listes électorales, elle ne comprend pas… Il semble qu’elle n’ait eu connaissance de toute l’affaire que par la presse et lorsqu’on l’a maintenue en garde à vue. Elle essaie de faire passer le message selon laquelle la garde à vue a été très dure mais le Président balaye l’argument. Le problème de Jacqueline Mockriky c’est que, ne se souvenant de rien, elle s’obstine à citer les éléments du dossier dont elle a eu connaissance et cela finit par agacer le tribunal. Elle ne reconnaît rien. Elle n’allait jamais au bureau des élection sauf une fois, à la veille des élections de 94, pour voir si les cartes de quelques personnes qu’elle connaît et qui ne l’avaient pas reçues, s’y trouvaient… ». Comme c’est curieux dit le Président, et vous y avez rencontré Mesdames Tiberi, et Affret ! ».Elle concède que oui.
En 97, non, elle n’y a jamais remis les pieds. « Vous ne vous souvenez donc pas de ce que vous avez dit aux gendarmes ? Vous avez trié certaines cartes et les avez mises tête-bêche. Vous êtes la seule à l’avoir dit. .. ». « On reparlera de cette Opération Tête bêche » dit le président à qui l’expression plait visiblement. Reste 191 cartes marquées de ses initiales. Alors ça, elle ne voit pas du tout qui a pu mettre ses initiales, pas elle en tout cas. Bref, Jaqueline Mockriky devenue chef de cabinet à coup de promotions internes a beaucoup pratiqué le « peut-être », « il me semblait que » « Naturellement.. » et finalement n’a rien lâché. Une secrétaire modèle au sens où elle sait garder tous les secrets du patron.
JE M'OCCUPAIS AUSSI DES VRAIS ELECTEURS
Avec Madame Affret, on est constamment partagé entre le rire et la compassion ou un certain écoeurement. D’emblée, elle reconnaît tout, la coordination des petites mains c’est elle, l’organisation de la fraude c’est elle mais « on ne faisait pas que des faux électeurs, Monsieur le Président , je m’occupais aussi des vrais électeurs du cinquième ! ». La vraie question évidemment demeure : pourquoi ? Pour qui ? Et là, elle reste soudain très vague :
- Le Président : Je cite Madame Hardouin « Dans cette mairie, on ne pouvait pas avoir toutes les initiatives ! ».
- Madame Affret : « C’est sûr ! Je ne dirigeais pas la mairie !
- Le Président, cite toujours madame Hardouin : « Au dessus de madame Affret, il y avait Madame Tiberi et Monsieur Tiberi ». Alors qu’en pensez vous ? Je ne vous demande pas de balancer madame Affret.
- Madame Affret : « Je n’accuse personne. j’assume la responsabilité de ce que j’ai fait mais je ne dénonce pas ».
Tout son système de défense se tient là. Madame Affret, c’est le dernier rempart des Tiberi avec Jaqueline Mockricky, tous les autres ont lâché, pas elles. Et puis, elle explique que cette fraude, elle ne s’en est pas rendue compte en fait : « les choses se sont fait naturellement, peu à peu, tout le monde s’entendait bien… ». En revanche, elle charge Nantien. L’ancien secrétaire général se voit ramené à sa responsabilité administrative, Madame Affret explique qu’elle ne connaissait pas le code électoral, qu’elle agissait souvent à la demande de Nantien, que tous les dossiers passaient par lui et donc… « Je prends toutes mes responsabilités, dit-elle, mais pas au-delà » !. Ainsi, elle nie avoir conseillé fortement aux demandeurs de place en crèche de s’inscrire et de voter : « Ah non, on peut tout dire et n’importe quoi, mais là, je vous dis la vérité ! » , De même elle n’aurait jamais donné des indications aux gardiens d’immeubles où étaient hébergé les électeurs fictifs : « Trop c’est trop , je n’ai pas fait tout toute seule ! ».
Puis le Président lâche prise. Surprenante Madame Affet. Au Procureur qui lui demande si tous les Vechione qui étaient hébergés au 1 rue saint Médard (il y en a une douzaine !) sont tous logé là, elle répond :
-C’est ma famille ! Je suis ravie de pouvoir en parler…Et la voici qui se lance dans une généalogie complexe où s’entremêlent habitat, origines, déménagements et affection. Et elle conclut : « Nous aimions l’idée d’aller voter tous ensemble dans cet arrondissement que nous aimons, c’était comme une partie de campagne ! C’était purement affectif ».
Tactique formidablement efficace : les interlocuteurs sont noyés sous un flot de paroles partant dans tous les sens. Le Président a tenu une heure, les autres calent assez vite. On ne tire donc pas grand chose de cet interrogatoire : elle se place sous l’autorité de Monsieur Nantien, tout en admettant ses fraudes. Quant à madame Tiberi , Madame Affret dit : « Moi, je ne prends pas d’initiatives, alors je ne vais pas donner des ordres à Madame Tiberi. Elle est la femme de l’élu ». Puis elle ajoute qu’elle « n’est pas l’organisatrice de tout cela. ». Tout de même, les avocats de la partie civile tentent un baroud d’honneur :
- Maitre francis Coguel : « Vous êtes la première élue après le maire, ne trouvez-vous pas qu’il y a un certain cynisme à dire je reconnais avoir fait des faux mais il appartenait au secrétaire général Monsieur Nantien de tout arrêter en les mettant à la poubelle ?
- Madame Affret Non je ne trouve pas ça cynique.
- Maître Francis Goguel : « Mais à qui ça profite ? A Nantien ?
- Madame Affret : Non à l’élu. Ce sont les élus qui se présentent !
RIEN VU RIEN FAIT
Madame Tibéri vient à la barre très décontractée, son manteau renvoyé sur ses épaules comme un décolleté années cinquante. Elle n’a rien vu, rien fait, tout découvert chez le juge. D’emblée, elle précise :
- Vous parlez de système ! Mais si c’était un système il y aurait des milliers de voix en trop alors que là, même pas deux cent voix ! (Dans sa voix un rien de mépris, un je ne sais quoi qui trouve que franchement, s’affoler pour deux électeurs fictifs !). Après, elle continue sur sa ligne de défense : pas là, pas concernée, femme d’élu sans pouvoir. Elle ignorait tout des activités frauduleuses de madame Affret, tout au plus concède-t-elle qu’elle savait que des gens continuaient à voter dans le 5e par affection ou amitié !
- Mais enfin, dit le Président, vous avez entendu le témoignage de Madame Harduin malheureusement décédée aujourd’hui. Elle vous cite partout.
- Madame Harduin perd ses centres (sic). Elle était malade. Mon omniprésence est une vaste blague !
- Mais enfin, elle n’est pas la seule à vous avoir entendu demander qui voulait héberger des électeurs !
- Ce n’est pas moi, ce n’est pas madame Affret.
- Personne ne veut porter le chapeau, pourtant, il y a un chapeau soupire le président.
Ensuite, ça continue, : « les cartes d’électeurs ? Jamais vues, je suis trop brouillon, je les perdrais ! » Le témoignage de madame Matthias ? « Oh, elle me déteste, elle me déteste, elle me déteste ! » Monsieur Nantien ? « c’est un amer, un déçu un déchaîné qui dit n’importe quoi » Sur son banc, le déchaîné fait penser à tout sauf à de la violence même verbale !.Les douze personnes qui la mettent en cause ? « Des menteurs, des aigris. »
-Le Président : Dites moi quel est l’intérêt des fonctionnaires de la mairie de faire des faux ?
-Madame Tiberi (marmonnant) : Qu’est ce que c’est que cette question (comme si elle ne l’avait pas prévue dans son training de défense).
-Le Président : Madame Affret agissait-elle sur les ordres de Monsieur Nantien ?
- Madame Tiberi : C’est l’homme le plus amer de la terre. !
Imbattable, Madame Tibéri, ne reconnaissant rien même l’évidence.
UN SYSTEME Où ?
Jean Tiberi arrive à la barre en fin de journée. Il reprend le même système de défense que sa femme mais plus élaboré : « On a parlé d’un système, la presse a donné des chiffres fantaisistes finalement de 12000 on est passé à 7000 puis 5000 pour traiter ici moins de deux cent votes. Ce sont des opérations qui ne sont pas un système !
Le Président enregistre mais s’obstine :
- On a l’impression d’une routine qui a perduré !
- Je ne peux pas répondre. Il n’y avait pas d’ordres. Je pense qu’il s’agissait de comportements naturels.
- Peut-on faire des faux naturellement ?
- Ah non certes pas ! Il est vrai que de bonne foi, certains ont fait des faux dans l’enthousiasme d’une campagne électorale. C’est regrettable.
La défense de Jean Tibéri est simple : puisqu’il était élu confortablement pourquoi se serait-il lancé dans une opération douteuse ? « Si j’avais su jamais je n’aurais permis de telles manœuvres. D’ailleurs cela ne m’est jamais revenu aux oreilles ! ».
Le Président s’étonne de ce que madame Tibéri ne lui ait jamais parlé de quoi que ce soit. Même défense : « Ma femme avait une liberté totale d’action. Je lui faisais confiance. Son rôle était limité. Et elle n’aimait pas que je la surveille et que je lui pose des questions ».
Mais , le Président insiste « Comment expliquez vous qu’elle soit citée par tant de témoins et de prévenus »
- Elle est très connue. Madame Matthias qui a déposé contre elle était animée par une forte hostilité et montée par la partie civile. Des témoins peuvent mentir effrontément.
Le président évoque la réunion de 1997 où on signale la présence de Jean Tiberi au bureau des élections. Il balaye d’un revers de main : « Mensonge total ! ».
Enfin, le Présidentsort une liste où sont mentionnés de la main de Jean Tiberi des appréciations sur certains électeurs, entre autres certains fictifs. Là, Jean Tiberi marque une légère hésitation, une légère déstabilisation aussitôt reprise :
- Je m’étonne que cette liste ait pu tomber entre les mains de monsieur Nantien.
Mais il n’en dira pas plus. Tout tourne autours de l’activité des fonctionnaires et des militants RPR, tous selon lui, gens de bonne foi, connaissant mal les lois. Avec peut-être certains fonctionnaires qui, comme Nantien « auraient du, dit sévèrement Jean Tiberi, dès qu’ils en ont eu connaissance aller tout dénoncer au Procureur ! ».
Un silence se fait. Le président dit doucement :
- Et vous Monsieur Tibéri ?
Encore un silence, à la barre, l’autre, surpris, ne sait plus où on va. Il hésite et dit :
- Moi Monsieur le Président ?
Le président laisse passer quelques secondes et dit qu’il en a fini.
Là encore les parties civiles tentent quelques questions mais en vain.
A la nuit tombée, les parties civiles traversant la grande cour pavée du palais de Justice tentent un bilan : Madame Affret se dresse devant les Tiberi comme une dernière défense. Mais elle est fragile :elle ne peut admettre qu’elle avait tous les pouvoirs à la Mairie, et ne peut non plus concéder que tout était verrouillé par le couple. Elle se décharge donc sur Nantien. Or celui-ci ne va sans doute pas se laisser accabler. Finalement le bloc Tibéri est acculé à nier. Pour combien de temps ?