Douze ans après les faits, voici enfin le procès des faux électeurs dans le cinquième arrondissement de Paris. Un évènement dans la mesure où les habitants du cinquième avaient fini par penser que, soit l’équipe municipale (toujours aux manettes) était vierge de toute mauvaise action, soit qu’on ne rattraperait jamais les malfaiteurs. Aujourd’hui, on les juge.
Le détail frappe : au-lieu de la 16e chambre correctionnelle, c’est dans la 17e que le procès des faux-électeurs prend place, uniquement d’ailleurs pour des raisons de travaux. Or cette 17e chambre est celle où l’on juge les délits de presse, les diffamations, les journalistes trop audacieux ou ceux dont la plume est allée trop loin… Si on pense que cette affaire a démarré avec un article du Canard Enchainé et que la principale des parties civiles est Lyne Cohen-Solal, journaliste avant d’entrer en politique, tout prend un certain relief. Ajoutons à cela, la presse qui campe devant les portes, et dans les bancs qui lui sont réservés, l’ambiance est aux grands jours !
D’autant que dans la salle, les robes noires sont de qualité et en nombre : entre défense et partie civile, il y a une vingtaine d’avocats dont des ténors comme Thierry Herzog, Jean-Yves Leborgne, Antoine Comte, William Bourdon, Yves Baudelot et d’autres plus subtils mais qui suivent l’affaire depuis le début comme Claude Pollet-Bayeux et Vincent Toledano.
D’entrée, on sent que le Président, Jean-Paul Albert, ne va pas se laisser impressionner par ce déploiement et qu’il va opérer avec doigté et fermeté. Il donne la liste des parties civiles, des témoins puis des prévenus. Et là, première surprise : il impose pour chacune des onze personnes au banc des accusés de lire l’acte d’accusation et la liste des noms des 196 faux-électeurs (parmi eux Simon Shakespeare ! et une véritable tribu de noms corses à croire que le cinquième est la seconde ville corse de France) parmi les milliers qui ont été recensés et pistés. Cela prend du temps, et la défense ronge son frein.
Me Leborgne enchaîne sans attendre pour demander simplement l’annulation du procès ! C’est ainsi que va se jouer ce procès : une guérilla sur la forme et jamais sur le fond puisque les infractions ont été admises par le Conseil Constitutionnel et que les accusés vont avoir du mal à plaider l’innocence. Me Leborgne invoque d’abord le fait qu’ayant envoyé ses conclusions en nullité hier, il a reçu les réponses de la défense voici une heure et qu’il ne peut l’étudier à tête reposée. Il veut le renvoi à demain, une pause, enfin qu’on s’arrête. Le président lui demande d’enchaîner. « Bon » soupire le conseil des accusés qui va offrir une plaidoirie théâtrale comme il y a cinquante ans : « D’abord, suppose-t-il c’est de la vieille histoire, de l’archéologie judiciaire » que l’on ressort fort à propos au moment des élections municipales en février 2008 avec l’ordonnance de renvoi en correctionnel des juges d’instruction. C’est procès politique et rien d’autre. D’autre part, les juges n’ont pas attendu le réquisitoire du procureur pour prendre leur ordonnance de renvoi, en pleine campagne électorale, n’est ce pas suspect cette précipitation ?
Puis Me Leborgne, décidément en pleine forme et décidé à jouer la montre se lance dans une démonstration tendant à prouver que les juges d’instruction ont copié dans leur renvoi, le réquisitoire, la preuve : « page 123, on lit : il sera requis, deux fois !! ». C’est mince, d’autant que de réquisitoire, on n’en voit pas. Il n’a pas été rendu ! N’empêche il demande l’annulation du procès.
Maitre Herzog lui succède pour expliquer que les faits reprochés ne sont pas clairement datés : du 11 au 18 juin 1995, du 25 au 1er juin 1997, ce sont les dates des scrutins mais rien n’est clair sur les faits eux-mêmes.
Jean-Yves Leborgne reprend le micro pour plaider la nullité des parties civiles : « majoritairement d’opposition et qui n’ont véritablement pas subi de préjudice ». Cela paraît logique malgré tout mais pas à lui.
Enfin Me Haïk plaide le fait que le réquisitoire n’ayant pas été versé au dossier il n’y a pas eu débat, la défense n’a pas pu le consulter. Comme le dit Jean-Yves Leborgne : « ce réquisitoire se promène dans ou a côté du dossier comme l’Arlésienne ». Et il revient sur le fait que tous ces noms ne correspondant pas forcément aux adresses trouvées : « Combien d’adresses ? Dix, quatorze cinquante ? Combien de noms ? » Cyniquement, il prétend jouer sur le fait que le nombre joue un rôle plus important que la faute.
La défense a de quoi répondre. Sur la valeur des parties civiles : la Cour de cassation a statué que tout citoyen peut se constituer partie civile dans un tel contexte. Et de renvoyer le procès d’intention sur la politisation du procès aux conseils de la défense !
Finalement le Procureur Général prend la parole. Comme tout est inhabituel dans ce procès, on ne s’étonne pas de voir le Procureur Général, Jean-Claude Marin, c’est à dire la plus haute autorité du Parquet se déplacer devant un tribunal correctionnel. C’est lui qui va, dans une déclaration assez embarrassée expliquer pourquoi le réquisitoire est introuvable !
Il faut savoir que lorsque l’instruction est achevée, les magistrats instructeurs avertissent le Parquet et transmettent les éléments pour que le procurer puisse rédiger son réquisitoire. Pendant trois mois, on peut accepter de nouveaux éléments dans l’enquête. Le délai peut être donc assez long. Or, ce document doit être visé par la hiérarchie. En fait, on comprend entre les lignes que le réquisitoire tel qu’il était rédigé initialement a déplu au Procureur général et a traîné…jusqu’à ce que les juges d’instruction déposent leur ordonnance de renvoi devant le tribunal. On ne peut comprendre le discours assez embarrassé du Procureur Marin si on ignore qu’il est le dernier magistrat nommé par Jacques Chirac et qu’il connaît certainement assez bien Jean Tibéri assis en face de lui au banc des accusés. Il admet volontiers que le retard lui incombe, du au fait qu’il a refusé qu’un réquisitoire soit rendu en février 2008, pour respecter une tradition républicaine qui veut que l’on n’intente pas une action en justice contre un candidat en période électorale. Toutefois entre la fin de l’instruction et l’ordonnance de renvoi 2 ans se sont écoulés : « C’est beaucoup admet-il. C’est un travail collectif, hiérarchisé et indivisible. Ce document a été soumis et amendé plusieurs fois par la hiérarchie, modifié sur la forme et le fond. Le magistrat rédacteur a changé… ». On pourrait comprendre que, par tous les moyens, on a tenté de retarder l’issue…Mais le Procureur précise que l’ordonnance de renvoi peut être rendue avant le réquisitoire, il n’y a rien de surprenant. Lui voulait respecter la tradition républicaine. Il insiste. Pour le reste, il ne voit aucune raison de nullité. Et précise que l’infraction est caractérisée dès lors qu’il y a un faux électeur, ensuite peu importe le nombre.
Malgré tout, le discours du Procureur Marin tout en justifiant le retard, et en donnant raison aux parties civiles laisse une impression de malaise, l’impression d’un homme honnête englué dans une affaire qui ne lui plait qu’à moitié dont il ne sait comment se dépêtrer.
Finalement l’heure tourne, la nuit tombe et il est 19 h. Le Président renvoie l’incident au fond et annonce que mardi on procèdera à l’interrogatoire de Raymond Nancien, ancien secrétaire général de la Mairie du 5e arrondissement, figurant parmi les accusés..
CC