lundi 26 janvier 2009

Stephane Hessel : l'engagement de toute une vie (2)

EMPLOI DES SANS PAPIERS : UNE DELOCALISATION SUR NOTRE SOL

20 h. Maison des associations dans le 13e. Stephane Hessel participe à une réunion de la Ligue des Droits de l’Homme dont il est (évidemment) membre. Dans la salle, les militants affluent, de plus en plus nombreux, il n’y a plus de chaises, tant pis. Debout, ils écoutent dans un silence parfait, l’ancien médiateur des sans papier de Saint-Bernard (1996) analyser la condition des immigrés en France : chiffres, dates, lieux, il possède le sujet à fond. Au passage, il remarque :
« Le travail au noir est une donnée économique importante. L’emploi des sans papier sous-payés c’est une forme discrète de délocalisation sur notre sol. Et on s’aperçoit que la majorité trouvent du travail. Les agences d’intérim n’hésitent pas à les envoyer aux entreprises du bâtiment, ou de la restauration. Je m’insurge de toutes mes forces contre cette hypocrisie : les immigrés ne sont pas « un problème » ou « des ressources humaines » . Ce sont des hommes et des femmes dont la vie est compliquée et difficile. Ils ont leur dignité, leur amour-propre et sont humiliés, traumatisés par l’accueil et le traitement qu’ils reçoivent. »
Sur les urgences à prévoir, il explique : « Ayons une attitude civique. Expliquons à tous, les richesses qu’apporte l’immigration. Si vous réfléchissez –et ce serait vraiment nécessaire- aux apports des demandeurs d’asile depuis trente ans, vous constaterez à quel point ils ont valorisé la France ! ».
Il écoute aussi, souriant, patient et surtout attentif. Les questions sont nombreuses, trop, il ne peut répondre à toutes. Un pot autours de l’invité suit la réunion et chacun veut s’entretenir avec lui. Avec Stephane Hessel on peut parler de tout : des Droits de l’Homme, de la parité, des relations entre la France et ses partenaires européens, mais aussi de Mallarmé ou de Victor Hugo, et tant d’autres dont il connaît des pages par cœur et ne se fait pas prier pour en réciter. Cet homme aime la poésie, la langue française, les beaux textes.
22 h. Nous partons à FR3 où il participe en direct à « Ce soir ou jamais », l’émission de Frédéric Taddéï sur le sujet de la guerre de Gaza. Il se trouve entre autres, face à Alexandre Adler et Tariq Ramadan. Entre les deux hommes, la tension et même une certaine animosité est palpable. C’est encore Hessel qui va remettre de l’ordre d’une voix calme, douce mais inflexible, rappelant des faits d’Histoire, des chiffres, des dates et parlant de négociations.

DEUX NOUVEAU CHAPITRES A ECRIRE SUR LA DECLARATION ….

Il est plus d’une heure du matin, dans la voiture qui le ramène chez lui, nous lui demandons si, aujourd’hui, il changerait quelque chose à la Déclaration Universelle des Droits de l’homme :
La réponse fuse
: « Non. Chacun des trente articles reste valable même s’ils sont régulièrement violés par nombre d’états. En revanche, j’ajouterai deux chapitres qui n’ont pas été traités : premier chapitre, les relations de l’homme avec la planète. Il y a bien un programme à l’Onu censé les prendre en charge mais il ne dispose d’aucun outil.
Et second chapitre : la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme conteste de manière radicale toute validité de la civilisation mais comment définir cela de manière politique ? Nous n’avons pas encore réussi à le faire. Il y a des singularités que nous ne pouvons surmonter, ainsi celle d’un groupe puissant qui proclame sa haine de toute civilisation autre que la sienne.. Ce sera sans doute le grand chantier du XXI e siècle.
Quand on lui fait remarquer que les droits de l’homme sont souvent bafoués, la réponse est remplie d’optimisme : « Ce n’est pas un corpus de lois, mais un programme d’acquisition de valeurs de progrès. Il représente, pour les pays qui ont ratifié le texte et ne le respecte pas, un cap à franchir pour aller au-delà de leurs traditions. »
Dans ces combats d’aujourd’hui, le résistant d’hier, est prêt à justifier ou à pratiquer la désobéissance civile. N’est-ce pas contradictoire avec le rôle qu’il donne au droit écrit ?
« Qu’est ce que la désobéissance civile ? C’est la décision que prend un individu de ne pas respecter la légalité lorsqu’elle s’oppose à la légitimité. Le respect de la loi votée par les élus est la base de la démocratie. Or l’histoire montre que certaines lois se heurtent à l’illégitime, c’est à dire aux respects des droits fondamentaux de l’individu. Ceux ci devraient bénéficier d’une légalité plus forte. Ainsi aujourd’hui, les récentes lois françaises sur l’immigration sont illégitimes. Et dans une éthique universaliste, la désobéissance civile est bien concevable. ». Son prochain combat, est en lien direct avec les injustices sociales en Europe : ce sera de remettre dans l’actualité européenne les conquêtes sociales issue du Programme national de la Résistance.
Puis, nous parlons de ses projets immédiats. Il se prépare avec délectation à partir en Espagne, il ira remercier le maire de Bilbao qui lui a décerné un prix mais aussi il emmènera sa femme visiter Tolède. A son retour, il tentera sans doute d’aller à Gaza puis participera à un colloque sur Création et Résistance organisé à Nantes. Il nous lance comme un au revoir ou un défi : « N’oubliez pas, résister c’est créer ». Et, les yeux plissés, il a ce sourire d’ange si célèbre aujourd’hui.