Un minimum de bonne foi, monsieur le Président, par Bertrand Delanoë
LE MONDE 01.12.08 13h37
Pour ceux qui en doutaient encore, le récent congrès de l'Association des maires de France (AMF) a permis de démontrer à quel point le service minimum d'accueil (SMA) suscite le rejet.
Qu'on en juge : un premier ministre tancé par l'assistance lorsqu'il évoque le sujet sur un ton péremptoire, un ministre de l'éducation qui renonce tout simplement à venir s'expliquer devant les élus présents, un sondage rendu public par l'AMF, confirmant que 46 % des maires - toutes sensibilités politiques confondues - ont éprouvé de réelles difficultés à mettre en oeuvre le SMA et 500 référés d'ores et déjà prononcés à l'encontre des "récalcitrants".
Face à un dispositif à ce point inadapté, la résolution adoptée par l'AMF est de bon sens : "évaluation objective des difficultés ; révision de la loi ; suspension des procédures engagées contre les maires". Son président, Jacques Pélissard (UMP), a parfaitement résumé l'état d'esprit général en s'adressant au chef de l'Etat : "Nous attendons un dialogue responsable de la part de tous vos ministres, y compris celui de l'éducation nationale, à qui nous demandons de respecter les maires."
Le message a-t-il été entendu ? Voire. Dans sa réponse, le président de la République a cru bon de distinguer entre le maire "de bonne foi" qui dit "qu'il n'y arrive pas" et celui pour lequel l'opposition à ce texte ne serait qu'un "acte militant de contestation de la loi". Précisant sa pensée, Nicolas Sarkozy a estimé "qu'on ne peut pas demander la même obligation de service à un maire d'une commune rurale et au maire de la capitale de la France...".
En clair, Nicolas Sarkozy reconnaît à demi-mot - et sans doute à contrecoeur - les failles du SMA. Pourtant, plutôt que de l'admettre, ce qui n'aurait rien d'indigne, il ne peut s'empêcher d'investir le terrain de la polémique politicienne : les ruraux contre les urbains, les modestes contre les puissants, les sincères contre les apparatchiks... Ah, stigmatiser Paris ! : le procédé est vieux comme le monde, mais, en l'occurrence, il repose sur des assertions parfaitement fausses. Car, faut-il le rappeler, précisément dans un esprit républicain, Paris a appliqué le SMA lors des mouvements de grève des 7 et 16 octobre.
SÉCURITÉ DES ÉLÈVES
A l'épreuve des faits, l'accueil des élèves s'est avéré insatisfaisant et même dangereux : quelques établissements totalement privés de personnel qualifié, des animateurs en nombre globalement insuffisant, le service de cantine altéré par la mobilisation de ses effectifs au profit du SMA, des prévisions chiffrées trop aléatoires.
Le constat s'est imposé de façon plus implacable encore à la veille du fort mouvement de grève du 20 novembre : il aurait alors fallu organiser en quarante-huit heures l'accueil de 87 300 enfants et, à cet effet, mobiliser 6 365 encadrants formés et qualifiés (soit un encadrant pour 15 élèves et un responsable par école), maîtrisant le fonctionnement des établissements scolaires et toutes les consignes en cas d'accident ou d'évacuation. C'est impossible. Et cela n'a rien à voir avec la taille de la commune ni son implantation.
Aucune ville, même dirigée par l'UMP, n'y est parvenue, sauf a minima, pour sauver les apparences, en ouvrant un petit nombre d'écoles pour un nombre très réduit d'enfants. Laisser croire qu'il suffirait, dans les grandes villes, de faire appel à n'importe quel adulte volontaire ou à des parents d'élèves pour prendre en charge quinze enfants pendant une journée entière relève de la démagogie ou de l'irresponsabilité. S'occuper pendant six à huit heures consécutives d'un groupe de quinze enfants dans des locaux scolaires n'a rien de commun avec la capacité à organiser, chez soi, un goûter d'anniversaire. Il n'est pas envisageable de confier une telle responsabilité à d'autres agents que des personnels formés dont la municipalité puisse répondre.
C'est pourquoi, en responsabilité, et à l'instar de tant d'autres élus, quelle que soit la dimension de leur collectivité, j'ai refusé de faire courir le moindre risque aux enfants. J'observe d'ailleurs qu'en se réfugiant dans le registre si commode du manichéisme le ministre de l'éducation comme le président de la République se dispensent d'offrir une réponse opérationnelle à la seule question qui vaille : la sécurité des élèves, qu'ils soient parisiens ou d'une commune rurale.
Dans ces conditions, qualifier d'"acte militant" le rejet d'un texte inapplicable, élaboré dans l'improvisation, me semble outrancier. Que l'Etat prenne enfin ses responsabilités. Non pas en s'enfermant dans une logique procédurière dont la brutalité n'a d'égale que la partialité. Mais en assumant un échange exigeant avec les élus, en n'estimant pas a priori que leurs réserves traduisent un état d'esprit obtus, et en mobilisant lui-même - serait-ce une hérésie ? - les personnels indispensables plutôt que de sous-traiter sans cesse aux territoires ce qu'il ne peut ou ne veut réaliser lui-même.
Bertrand Delanoë est maire (PS) de Paris.
LE MONDE 01.12.08 13h37
Pour ceux qui en doutaient encore, le récent congrès de l'Association des maires de France (AMF) a permis de démontrer à quel point le service minimum d'accueil (SMA) suscite le rejet.
Qu'on en juge : un premier ministre tancé par l'assistance lorsqu'il évoque le sujet sur un ton péremptoire, un ministre de l'éducation qui renonce tout simplement à venir s'expliquer devant les élus présents, un sondage rendu public par l'AMF, confirmant que 46 % des maires - toutes sensibilités politiques confondues - ont éprouvé de réelles difficultés à mettre en oeuvre le SMA et 500 référés d'ores et déjà prononcés à l'encontre des "récalcitrants".
Face à un dispositif à ce point inadapté, la résolution adoptée par l'AMF est de bon sens : "évaluation objective des difficultés ; révision de la loi ; suspension des procédures engagées contre les maires". Son président, Jacques Pélissard (UMP), a parfaitement résumé l'état d'esprit général en s'adressant au chef de l'Etat : "Nous attendons un dialogue responsable de la part de tous vos ministres, y compris celui de l'éducation nationale, à qui nous demandons de respecter les maires."
Le message a-t-il été entendu ? Voire. Dans sa réponse, le président de la République a cru bon de distinguer entre le maire "de bonne foi" qui dit "qu'il n'y arrive pas" et celui pour lequel l'opposition à ce texte ne serait qu'un "acte militant de contestation de la loi". Précisant sa pensée, Nicolas Sarkozy a estimé "qu'on ne peut pas demander la même obligation de service à un maire d'une commune rurale et au maire de la capitale de la France...".
En clair, Nicolas Sarkozy reconnaît à demi-mot - et sans doute à contrecoeur - les failles du SMA. Pourtant, plutôt que de l'admettre, ce qui n'aurait rien d'indigne, il ne peut s'empêcher d'investir le terrain de la polémique politicienne : les ruraux contre les urbains, les modestes contre les puissants, les sincères contre les apparatchiks... Ah, stigmatiser Paris ! : le procédé est vieux comme le monde, mais, en l'occurrence, il repose sur des assertions parfaitement fausses. Car, faut-il le rappeler, précisément dans un esprit républicain, Paris a appliqué le SMA lors des mouvements de grève des 7 et 16 octobre.
SÉCURITÉ DES ÉLÈVES
A l'épreuve des faits, l'accueil des élèves s'est avéré insatisfaisant et même dangereux : quelques établissements totalement privés de personnel qualifié, des animateurs en nombre globalement insuffisant, le service de cantine altéré par la mobilisation de ses effectifs au profit du SMA, des prévisions chiffrées trop aléatoires.
Le constat s'est imposé de façon plus implacable encore à la veille du fort mouvement de grève du 20 novembre : il aurait alors fallu organiser en quarante-huit heures l'accueil de 87 300 enfants et, à cet effet, mobiliser 6 365 encadrants formés et qualifiés (soit un encadrant pour 15 élèves et un responsable par école), maîtrisant le fonctionnement des établissements scolaires et toutes les consignes en cas d'accident ou d'évacuation. C'est impossible. Et cela n'a rien à voir avec la taille de la commune ni son implantation.
Aucune ville, même dirigée par l'UMP, n'y est parvenue, sauf a minima, pour sauver les apparences, en ouvrant un petit nombre d'écoles pour un nombre très réduit d'enfants. Laisser croire qu'il suffirait, dans les grandes villes, de faire appel à n'importe quel adulte volontaire ou à des parents d'élèves pour prendre en charge quinze enfants pendant une journée entière relève de la démagogie ou de l'irresponsabilité. S'occuper pendant six à huit heures consécutives d'un groupe de quinze enfants dans des locaux scolaires n'a rien de commun avec la capacité à organiser, chez soi, un goûter d'anniversaire. Il n'est pas envisageable de confier une telle responsabilité à d'autres agents que des personnels formés dont la municipalité puisse répondre.
C'est pourquoi, en responsabilité, et à l'instar de tant d'autres élus, quelle que soit la dimension de leur collectivité, j'ai refusé de faire courir le moindre risque aux enfants. J'observe d'ailleurs qu'en se réfugiant dans le registre si commode du manichéisme le ministre de l'éducation comme le président de la République se dispensent d'offrir une réponse opérationnelle à la seule question qui vaille : la sécurité des élèves, qu'ils soient parisiens ou d'une commune rurale.
Dans ces conditions, qualifier d'"acte militant" le rejet d'un texte inapplicable, élaboré dans l'improvisation, me semble outrancier. Que l'Etat prenne enfin ses responsabilités. Non pas en s'enfermant dans une logique procédurière dont la brutalité n'a d'égale que la partialité. Mais en assumant un échange exigeant avec les élus, en n'estimant pas a priori que leurs réserves traduisent un état d'esprit obtus, et en mobilisant lui-même - serait-ce une hérésie ? - les personnels indispensables plutôt que de sous-traiter sans cesse aux territoires ce qu'il ne peut ou ne veut réaliser lui-même.
Bertrand Delanoë est maire (PS) de Paris.