vendredi 6 février 2015

"A l’ombre du vieux robinier, la mémoire de 13 petites victimes de la Shoah" par Lyne Cohen-Solal










Paris, le 31 janvier 2015



En face de Notre-Dame, dans le square Viviani, une stèle en verre porte les noms de treize enfants et leur âge qui va de 5 à 1 an, avec, en ce moment, trois gerbes au pied de ce monument discret. Le 27 janvier a été célébrée, ici, avec la Maire du 5ème la commémoration de l’ouverture du camp d’extermination d’Auschwitz grâce au travail inlassable de l’association pour la mémoire des enfants juifs déportés de notre arrondissement de 1942 à 1944.



A la tête de cette association, Pierre Quillardet, un homme souriant, alerte et volontaire, capable de vaincre tous les obstacles. Car cet homme, déchiré, se souvient de cette matinée de 1942 où, de sa fenêtre de la rue Le Goff, il a vu partir, « raflée », la famille de son copain de classe, parents et enfants, qu’il connaissait et aimait…

A partir de 2002, après un long et minutieux travail de recensement, l’AMEDJ avec l’aide de l’Hôtel de Ville de Paris, a posé une quinzaine de plaques dans les écoles primaires du 5ème. Ces plaques rappellent les noms et prénoms des enfants juifs qui fréquentaient ces classes et furent déportés. Chacune des cérémonies a permis un travail d’histoire, de mémoire, de pédagogie, surtout, de la part des équipes pédagogiques, comme des familles et des élus aussi.

Malgré cette belle mobilisation, Pierre Quillardet gardait un regret. « Et Rachel, répétait-il lors de nos conversations, nous n’avons rien fait pour Rachel… ». En me racontant que Rachel était la petite sœur de son copain de classe, une toute petite fille de 3 ans qui courait partout. 

Quelques temps après, Pierre Quillardet a pu finaliser son projet, son « devoir de mémoire ». Il a pu rendre hommage à Rachel, ainsi qu’à douze autres tout petits enfants juifs du 5ème, trop petits pour être scolarisés mais pas pour être raflés par Vichy et disparaître dans les camps. Rachel 3 ans, Marcel 5 ans, Jacques 5 ans, Michèle 4 ans, Bernard 5 ans, Irène 4 ans, Rosette 1 an, Arnold 3 ans, Daniel 6 ans, Francine 3 ans, Germaine 3 ans, Nathan 4 ans, Sami 4 ans ne sont pas oubliés, ils ont leurs noms et âge gravés dans le verre et désormais une sépulture commune à l’ombre du plus vieil arbre de Paris, le robinier planté en 1602… une belle et vénérable protection pour ces martyres de la folie des hommes.

Plus émouvant encore, tout contre St Julien le Pauvre, la plus ancienne église de Paris dédiée au culte byzantin, les historiens rappellent, qu’au Moyen Age, se trouvait un cimetière juif qui ouvrait rue Galande. En effet, les juifs, « relégués » de l’autre côté du fleuve par rapport à la Cathédrale, vivaient rue de la Huchette. Ils travaillaient près de la rue du petit pont et avaient un petit cimetière sur la parcelle voisine. Des pierres tombales portant des inscriptions en hébreu et araméen visibles au Musée de Cluny ont été découvertes dans ce périmètre.

Coïncidence,… hasard de l’histoire ? La place de cette stèle dans ce lieu historique a une signification plus forte encore que prévu. Elle rappelle avec dignité et émotion le souvenir de ces très petits parisiens, juifs, victimes de la barbarie nazie, et, alors qu’ils furent jetés dans les fours crématoires, elle leur sert de sépulture en faisant resurgir le souvenir du très vieux cimetière d’autres juifs parisiens. 

                                                                                                                     Lyne Cohen-Solal