Ce mercredi 27 mai 2015, notre arrondissement va accueillir une cérémonie républicaine fastueuse et rare, la « panthéonisation » de quatre personnalités : Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay, tous quatre figures illustres de la Résistance.
Le 27 mai, c’est aussi la journée nationale de la Résistance. Ce quator a incarné les valeurs de la France quand elle était à terre. Ce choix judicieux d'exemples pour la Nation remplit son rôle. Deux femmes et deux hommes. Il faut être Le Figaro pour se gausser de cette parité !
Des Résistants, alors que l’ombre des démons des années 30 assombrit notre débat politique. Et certainement un grand discours présidentiel sur les valeurs de la République.
Le Panthéon : une place singulière dans notre mémoire
Le Panthéon occupe non seulement une place singulière dans notre mémoire nationale –ce n’est « pas LA mémoire nationale mais une des mémoires politiques offertes aux Français » selon Mona Ozouf (Le Panthéon, Les Lieux de mémoire, Gallimard, 1984)- mais également dans cet arrondissement du Quartier Latin dont il est l’un des monuments les plus identifiants. Le voisinage de la rue d’Ulm en faisait, selon l’écrivain et chroniqueur littéraire André Billy, « l’Ecole normale des morts ».
Il est peu connu et sans doute mal aimé. « L’imaginaire collectif s’arrête net aux marches du Panthéon. Il aura fallu la télévision pour que les Français puissent s’y promener » écrit ainsi Mona Ozouf. Le choix du Président de la République, qui honore la mémoire républicaine partagée et apaisée de la Résistance, contribue à mettre fin à son « histoire orageuse dans un XIXème siècle qui n’en finit pas de gratter et regratter au fronton l’inscription de Pastoret », inscrite dans son temps, son arrondissement, un Quartier Latin en mutation et en dilatation, et support à de nouvelles célébrations laïques.
Lieu de mémoire républicaine, le Panthéon accueille les grandes personnalités de notre histoire nationale. Le Panthéon permet de préserver des repères mémoriels forts car les commémorations, rappelait Jacques Toubon en 2008, donnent une identité aux vivants. Il constitue le point de rencontre entre l’histoire et la géographie, Paris en étant le centre de jonction. Il donne enfin corps, consistance et matière au devoir de mémoire.
Plus encore que d’une élection, le Panthéon est le fruit d’une exclusion active, écrivait Mona Ozouf. La mémoire nationale ne commence pas en 1789. Or, à l’exception de Rousseau et Voltaire, aucune grande figure prérévolutionnaire n’y prend place. L’analyse de ceux qui y reposent ne permet pas, et de loin, une appropriation par la Nation de l’histoire collective qu’il prétend incarner contrairement par exemple à Westminster.
On note également l’existence de cycles, d’alternances de périodes de ‘panthéonisation’ active et de vides qui confinent à l’oubli. L’essentiel des « hommes illustres » entre au Panthéon sous la Révolution (6, dont 2 retirés ensuite) et l’Empire, le plus grand utilisateur (43).
Notre 5ème République a davantage utilisé l’édifice (10 en 38 ans, de 1964 à 2002) que la 3ème République (11) ou la 4ème République (5). Rien entre 1829 et 1885 ou entre 1964 et 1987 et depuis 2002. Actuellement, la liste s’est donc allongée et la bataille des mémoires par la ‘panthéonisation’ suscite polémiques, campagnes de presse, interpellation de l’opinion et des autorités investies du pouvoir de décision.
La liste actuelle interroge. Sur les 75 personnalités, 4 révolutionnaires ayant été ôtés dont Mirabeau et Marat, on dénombre une seule femme et quatre étrangers (deux cardinaux italiens, un suisse, un néerlandais, tous quatre ralliés à Napoléon), et trois corps « annexes » : son architecte Soufflot, le père de Schoelcher, la femme de Berthelot. Surtout, le Panthéon contient beaucoup de militaires, l’Empire ayant voulu beaucoup honorer ses soldats. Or, la mémoire nationale attribue l’Armée aux Invalides. Ce dernier monument contenant aussi une vaste crypte, elle pourrait les accueillir…
Le temple républicain n’accueille pas seulement des corps. Il inscrit également sur ses murs des noms, plus de 1000, dont une majorité d’écrivains morts en 1914-1918, les victimes de la révolution de 1848 ou une référence aux Justes de France, sans citer de personne précise, comme des ex-voto laïcs. Ceci enracine bien le Panthéon dans le Quartier Latin.
On rend ainsi hommage aux personnalités de la République même sans accueillir leurs dépouilles, lorsqu’elles ne peuvent être retrouvées, que la famille s’oppose à leur transfert ou pour d’autres raisons. Plus récemment, ont été organisées des cérémonies sans transfert de corps, mais rendant hommage au centenaire de la parution de l’article « J’accuse » de Zola (1998) ou à un homme illustre, Aimé Césaire (2011) avant tout en tant qu’écrivain.
S’oriente-t-on vers une utilisation moins funéraire de l’édifice qui accueillerait à l’avenir davantage de cérémonies d’hommages sans nécessairement qu’il y ait transfert du corps de la personnalité illustre à commémorer ? Alors que nos sociétés et nos villes en particulier ne voient plus passer de convois funèbres, ces cortèges de cercueils dérangeraient-ils ?
Par une sorte de coutume républicaine, les conditions préalables à remplir pour une ‘panthéonisation’ semblent être : la nationalité française, l’existence de restes et l’accord de la famille, ce dernier critère ayant conduit à ajourner plusieurs projets. Une fois ces préalables remplis, le critère principal de sélection est…l’absence de critère, puisque dès les débuts de l’utilisation du Panthéon a éclaté « l’impossibilité de le reconnaître comme un lieu d’unanimité ou pourraient coexister pacifiquement tous les grands Hommes de la Nation » (Mona Ozouf) : le Panthéon n’est ni Westminster, ni le Saint-Denis de la République.
Un seul critère émerge toutefois : le temps. Comme le prescrivait la Convention dans la loi du 4-10 avril 1791, les honneurs du Panthéon ne seront décernés qu’après un délai significatif (dix ans), loin de l’émotion immédiate à l’exemple du débat suscité lors du décès de Stéphane Hessel en février dernier : « il faut que la vie d’un citoyen soit éclairée avant d’honorer sa mémoire » prescrivit le législateur conventionnel. La ‘Panthéonisation’ ne doit pas céder aux soubresauts de la société de l'émotion instantanée.
Redonner du sens à ces commémorations républicaines
Pour redonner du sens à ces commémorations républicaines, toute sélection pour être incontestée doit surmonter les deux écueils soulignés par Mona Ozouf en 1984. D’une part, nos sociétés sont devenues plus « incertaines de ce que peuvent être de grands hommes porteurs de grandes leçons ». D’autre part, l’utilisation d’un monument interroge alors que « nul ne peut croire aujourd’hui que la représentation visuelle soit le lieu même de la formation morale et de la manipulation idéologique ».
D’autant plus que le Panthéon est un réemploi, une église laïcisée, un édifice ballotté entre la République et l’Eglise pendant près d’un siècle. Il porte encore les marques de son affectation première.
Outre la croix replacée au sommet du dôme en juillet 1873, et même si le mobilier religieux fut enlevé en 1891, le cycle de peintures commandées en 1874 par le marquis de Chennevières mélange l’histoire nationale (Clovis, Charlemagne, « la Patrie, l’abondance, la chaumière et la peste » de Humbert), l’histoire chrétienne (Saint-Denis, Sainte-Geneviève) ou les deux (Saint-Louis, Jeanne d’Arc). Surtout, dans la mosaïque de l’abside réalisée entre 1875 et 1884, si les quatre personnages représentés ont une auréole et que la cinquième (Jeanne d’Arc) n’en porte pas, c’est qu’elle n’a été canonisée qu’en 1920.
Il faut attendre le XXème siècle pour y introduire des œuvres qui ne se réfèrent plus à l’église catholique : le dyptique de Detaille (« Vers la gloire », 1902-1905), le cénotaphe de Sicard (« La Convention nationale, 1920), le monument en hommage aux artistes « dont le nom s’est perdu » (Landowski, 1913), dont la présence interroge tant il est à rebours de la reconnaissance des hommes illustres, ou enfin celui en hommage aux « héros inconnus morts pour la France » (Bouchard, 1924), qui pose les mêmes interrogations. Après 1945, peu d’éléments sont rajoutés à l’intérieur. Deux statues de Corneille et Rousseau fondues par l’occupant sont remplacées, en pierre, en 1952, et le pendule de Foucault installé en 1995. En 2005-2006, la restauration de l’horloge Wagner en panne depuis 1965 est effectuée par un groupe artistique (?) clandestin (« Untergunther »), symbole de la désaffection de l’Etat pour l’iconographie intérieure de l’édifice.
Si la République laïque voulait être cohérente avec elle-même, elle déposerait et enlèverait tout ce qui rappelle une religion en particulier. Une grande surface d’accrochage et d’exposition serait ainsi libérée. On pourrait ainsi commander de nouvelles œuvres à des artistes contemporains afin d’illustre la mémoire nationale ou la vie des hommes et femmes illustres qui reposent au Panthéon.
Associer les Vivants aux Morts, l’Art contemporain à la célébration d’un illustre défunt permettrait de faire entrer le présent dans ce temple du passé afin d’ancrer la mémoire dans un moment plus contemporain. Concrètement, chaque entrée d’un homme ou d’une femme illustre serait accompagnée par la commande, l’exécution et l’installation d’une œuvre confiée à un artiste et rendant hommage à la vie, aux qualités et aux réalisations de la personnalité « panthéonisée ».
Enfin, la croix surmontant le dôme serait remplacée par une nouvelle allégorie de la République, de la Nation ou de la fraternité.
Le Panthéon inscrit dans la cité
Un dernier mot sur l’aménagement urbain dans lequel s’inscrit ce monument. Avec l’obturation des fenêtres par Quatremère de Quincy en 1791, le caractère totalement minéral de la place qui l’entoure et l’existence de grilles, le Panthéon semble vouloir se replier sur lui-même et surtout se couper de son environnement urbain. Le monument est pourtant pleinement inscrit dans son quartier dont il modèle l’identité. A son fronton, David d’Angers n’a-t-il pas représenté des étudiants de l’Ecole Polytechnique ? Dépourvu de tout mobilier à l’exception des chaînes qui forment un triangle sur son devant, il subit sur ses flancs la présence de deux vastes parkings. Malgré son caractère peu hospitalier, comme l’absence de banc par exemple, la place accueille en soirée les beaux jours la jeunesse du Quartier Latin qui se résout à s’asseoir par terre.
« Rendre plus sensible » le Panthéon c’est donc aussi réfléchir à son insertion dans la ville et inviter à la repenser entièrement afin de permettre aux parisiennes et aux parisiens de tout âge de se réapproprier ce vaste espace. Trois lignes directrices pourraient être proposées à la consultation des habitants et à la décision des autorités locales. La végétalisation de la place ne doit pas être un tabou « quand les peupliers frémiront sur la place du Panthéon car le projet d’un jardin pour les grands hommes n’a, malgré le choix de Quatremère, jamais été tout à fait abandonné, alors il faudra arracher Rousseau à la crypte et le confier à leur vivant abri » écrivait Mona Ozouf. L’accessibilité de l’édifice et son ouverture sur son environnement pourrait se matérialiser par l’enlèvement des grilles. Enfin, du mobilier urbain, déposé depuis la rue Soufflot et innervant toute la place, comme des bancs, pourrait contribuer à y recréer de la convivialité.
Que l’Etat ait décidé de très importants travaux –d’un montant de 100 millions d’euros en dix ans- malgré un contexte financier difficile, qui permettront de conduire à bien la plus ample restauration depuis 140 ans, montre à quel point ce monument est important pour la République. Les habitants de notre arrondissement doivent s’en persuader.
Bernard Rullier