La compétition à droite pour la présidentielle a débuté. Chaque candidat commence à dévoiler un programme, ou une ébauche pour ne pas être copié. C’est la grande vertu de la primaire, inventée par le PS pour départager ses candidats en l’absence de leadership : forcer au débat d’idées. François Fillon participe à cette compétition, et à vrai dire n’a fait que la préparer depuis mai 2012. On espère pour lui que l’élection sera moins biaisée que pour la présidence de l’UMP qui lui échappa en 2012, au profit de Copé dans les conditions troubles que l’on sait. Ce « manifeste pour la France » est une bonne nouvelle pour le débat politique. L’opposition va enfin présenter des propositions. Du moins lorsqu’elle aura choisi parmi la pléthore des programmes en lice.
A noter que François Fillon fait sa rentrée politique « dans son fief de la Sarthe en Rouez-en-Champagne », comme le souligne Ouest-France à qui il accorde un entretien exclusif ce 26 août 2015, alors que certains croient encore qu’il a été élu le 17 juin 2012 député de notre 2ème circonscription de Paris. Simple commodité de confort, son parachutage parisien pour échapper à une déroute électorale (Stéphane Le Foll y a été élu) l’a conduit à ne jamais s’intéresser ni à la rive gauche (sauf pour bloquer un temps sa piétonisation) et à ses habitants, orphelins de représentation parlementaire, ni à Paris, ni aux enjeux de sa métropole. Du Grand Paris Express aux JO de 2024 ou à l’exposition universelle de 2025, nulle trace d’intérêt ou d’intervention du député sarthois de Paris. On ne le voit jamais dans sa circonscription parisienne arpenter un terrain électoral qui manifestement l’ennuie. Son destin est ailleurs. Son unique préoccupation depuis trois ans est sa candidature présidentielle. Son horizon se borne à 2017.
« Osons dire, osons faire » est ainsi sous-titré le programme filloniste. Il faut en effet oser, après le bilan calamiteux du sarkozysme, une augmentation de 120 milliards de la dépense publique et de 600 milliards de la dette publique, en constatant qu’il dirigeait un « Etat en faillite », présenter un programme de mise en faillite de l’Etat au nom du refus de « se résigner à la lente faillite de la France ». C’est là le paradoxe classique de la droite libérale : penser qu’affaiblir l’Etat ne peut que renforcer les acteurs économiques en dépit des dégâts sociaux provoqués chez les Français les plus modestes par le recul de l’Etat providence. Bref instant de lucidité de ce pré-programme, « la gauche n’est pas responsable de tous nos maux ». Mais faire de la sphère publique l’unique responsable du manque de dynamisme de nos entreprises est un peu court.
En méthode, le député Fillon se méfie visiblement de sa future majorité parlementaire, s’il est élu Président, puisqu’il propose quatre (dans son manifeste) ou cinq (dans Ouest-France) référendums dès septembre 2017 : inscrire dans la loi fondamentale une « règle d'or budgétaire du zéro déficit » (mais qui ne sera atteint que d’ici à 2022…), permettre au Parlement de définir chaque année des quotas d'immigration, réduire à deux échelons administratifs l'organisation territoriale et substituer au principe de précaution un principe de responsabilité, afin de libérer l'expérimentation et, au bout du compte, l'innovation. Il ajoute dans son entretien à la presse régionale « la diminution du nombre des parlementaires et la modernisation des assemblées », sans plus de précision, mais forcément applicable en 2022 seulement. La méthode du référendum est justifiée par le souci de « ne pas céder aux intérêts corporatistes ou particuliers », conception particulière du travail parlementaire et signe visible de manque de confiance dans ses amis politiques… Autre sujet de méfiance : les collectivités locales. Partisan de la fusion départements-régions, il propose de mettre fin au principe de libre administration en limitant la possibilité d’augmenter les impôts locaux et en encadrant leurs effectifs. Ses soutiens élus locaux apprécieront.
Sur le fond, François Fillon assume sans état d’âme la veille recette libérale de purge de la sphère publique et de la dépense sociale, seuls remèdes pour « libérer l’économie de ses carcans ». Si des efforts ont été demandés aux Français depuis 2012, ceux promis après 2017 par Fillon feront plus que doubler : ce sera « le plus important que la France ait consenti dans son histoire contemporaine ». Passer de 50 à 110 milliards d’économies quinquennales, c’est pour la droite forcément moins de fonctionnaires (-10%), travaillant plus longtemps (comme pour tous les salariés avec le passage de la retraite à 65 ans, les régimes étant harmonisés), moins de dépenses sociales (comment alors concilier son objectif de « prendre soin des plus fragiles en alliant solidarité et équité » et le plafonnement des allocations chômage au taux de remplacement de 75% ?), moins de droit du travail (réduit aux protections fondamentales des salariés), moins de protection (le licenciement collectif étendu à la réorganisation de l’entreprise ; relèvement des seuils sociaux), moins de contrats aidés (pour financer une exonération de charges sociales au profit de la formation en alternance, alors qu’il s’agit de publics bien différents…).
Son « choc pour la compétitivité », c’est un paquet-cadeau fiscal de 50 milliards pour les entreprises (finançant la baisse des prélèvements sur le coût du travail), plus 15 autres de suppressions de taxes qui pèsent sur la masse salariale (dont le versement transport, dont le député parisien oublie qu’il finance les transports publics –qu’en pense Valérie Pécresse ?), plus une réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, plus la suppression de l’ISF (qui a rapporté 5,2 milliards en 2014), le tout financé par une hausse de 3,5% des deux taux supérieurs de TVA, payée par tous les Français y compris les plus modestes… Ce sera surtout un choc pour les salariés. Saluons toutefois sa volonté de traiter équitablement sur le plan fiscal entreprises européennes et « majors américaines » malgré un bilan vide sur ce sujet lorsqu’il fut aux responsabilités.
En concurrence sur l’enseignement, François Fillon et Alain Juppé partagent plusieurs propositions, dont donner plus d’autonomie aux établissements et augmenter les salaires des enseignants notamment la part au mérite. Leur projet de réforme du bac (davantage de place au contrôle continu) est identique. Mais ni le rétablissement de la note de vie de scolaire ni le retour de l’uniforme pour les élèves ne font une vraie réforme de notre système éducatif.
Rassemblant dans le même chapitre sécurité et immigration, Fillon propose classiquement que le Parlement fixe chaque année des quotas en fonction de l’origine des immigrés, de supprimer l’aide médicale d’Etat ou de réduire leur accès aux aides sociales.
Enfin sur l’Europe, il rejoint les propositions du Président de la République relatives à l’union politique de la zone euro.
On évitera la facilité de se demander pourquoi un tel programme n’a pas été mis en œuvre entre 2007 et 2012 ou à qui s’adresse, dans son camp, le « fini le temps de la politique marketing ». La rhétorique libérale (libérer l’économie du carcan de l’Etat) héritée du XIXèmesiècle n’est pas forcément la plus adaptée à la construction de l’économie et de la société du XXIème siècle qui exige avant tout un Etat efficace, en capacité d’aider les entreprises, réformant avec les partenaires sociaux (absents du manifeste filloniste), préservant notre modèle social et les services publics (mot absent également) auxquels les Français sont attachés. Car si ce programme en appelle au courage, et à la vérité, il affirme une volonté de le mettre en œuvre en « bousculant » un pacte social pourtant fragile et sans aucune considération de justice sociale. Or, si les Français sont prêts aux réformes et aux efforts comme ils le démontrent depuis 2012, ils ne sont pas prêts à une libération de l’économie qui se résume trop à une réduction de la sphère publique par la mise en faillite organisée de l’Etat.
Bernard RULLIER